La France ne dépiste pas assez les cancers héréditaires !

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Il y a, en France, environ trois cent cinquante mille personnes susceptibles de développer un cancer ‘héréditaire’ du sein ou du colon. Tous les instruments de dépistage existent mais plus des deux tiers des personnes concernées n’en ont jamais bénéficié et ignorent totalement qu’elles portent ces mutations. Une nouvelle forme de paradoxe français.
Lorsqu’il y a peu l’actrice et réalisatrice américaine Angelina Jolie a raconté dans le New York Times sa double mastectomie subie à titre préventif, les médias ont largement couvert cette révélation en même temps qu’on a parlé de ces formes de cancers liées à une mutation d’un ou de plusieurs gènes.
En ce qui concerne la comédienne, c’est une mutation sur le gène baptisé BRCA1 qui était en cause. Ce gène s’il est défectueux, favorise l’émergence de cellules porteuses d’anomalies qui devraient normalement être détruites et qui, au contraire vont proliférer. La probabilité de développer un cancer du sein pour les femmes porteuses de cette anomalie est assez élevée.

La probabilité qu’elles transmettent la mutation à leurs descendants n’est pas négligeable. Cette anomalie, ainsi qu’une mutation moins fréquente du gène BRCA2 concerne 100 000 à150 000 personnes environ en France, dont une très faible quantité d’hommes.
Le colon aussi
Mais il n’y a pas que le sein qui est concerné par des cancers ‘héréditaires’, il y a aussi le gros intestin, le colon.
Cette forme héréditaire de cancer du colon se distingue d’une autre forme liée à la présence de multiples polypes dans l’intestin.
Là, dans ce qu’on nomme le ‘syndrome de Lynch’, il n’y a pas de lésions de type polypose. La cause de la cancérisation est liée là encore à une mutation sur un gène impliqué dans la réparation de l’ADN. L’anomalie concerne un des quatre gènes d’une famille, les gènes MMR pour MisMatch Repair.
On estime que ces mutations concernent 180 000 personnes en France.
Que ce soit pour le sein ou pour le colon, il existe des tests permettant de mettre en évidence ces anomalies, ce qui permet d’informer le patient et de lui exposer les options de surveillance ou de prise en charge chirurgicale.
En France, cette mission incombe aux services d’oncogénétique. Notre pays est bien pourvu de spécialistes en ce domaine. Et les tests souvent très coûteux, plusieurs milliers d’euros, sont pris en charge par la collectivité. Les personnes concernées n’ont, contrairement aux Etats-Unis, rien à débourser.
Formidable non ? Et bien non justement ! Le paradoxe français est en place : nous avons un des meilleurs systèmes d’oncogénétique et il est sous-utilisé et les personnes à risque ignorent, pour la majorité d’entre elles, leur état
Le paradoxe français
Pascal Pujol, onco-généticien au CHU de Montpellier, a présenté le 2 juin à Chicago le bilan 2003-2011 du recours aux consultations spécialisées dans ce domaine des cancers héréditaires.
Il y a eu 240134 consultations qui ont conduit à la réalisation de 134652
Tests. On a découvert une mutation chez 32494 personnes, dont 59 % pour BRCA1/BRCA2 et 23 % pour MMR.
La découverte d’une mutation sert, bien sûr, en premier lieu à informer la personne. Mais on ne doit pas s’arrêter là car ces anomalies peuvent toucher d’autres membres de la famille, au premier degré évidemment, fratrie ou enfants, mais aussi d’autres parents.
Mais encore faut-il qu’ils soient mis au courant de la présence de cette anomalie et qu’ils aient envie de subir le dépistage.
Or, en raison du secret médical, les médecins n’ont strictement droit de ne rien dire ni d’informer qui que ce soit des proches. Cela ne peut se faire que par l’intermédiaire du premier membre de la famille dépisté, ce qu’on nomme le ‘cas index’. Si, par exemple, une femme porteuse de la mutation BRCA1 ne veut pas en parler à sa famille, aucune des autres femmes potentiellement à risque plus élevé de développer un cancer du sein n’en sera informée.
Quand on regarde les chiffres des tests effectués sur d’autres membres de la famille sur cette période 2003-2011, on s’aperçoit que pour le sein on est passé de 2080 test en 2003 à 7393 en 2011, avec un taux de découverte de mutations de 13,8 %
Quand on passe aux données sur le syndrome de Lynch on constate que de 1144 tests en 2003 on est seulement passé à 1636 en 2011, avec 20,9 % de tests positifs, une personne sur cinq !
Alors qu’idéalement il faudrait, à partir d’un cas diagnostiqué, voir dix membres de la famille proche, on en est à 3,03 seulement.
Aujourd’hui on estime qu’en France seulement le tiers des femmes porteuses d’une mutation BRCA1/BRCA2 le savent. Pour le syndrome de Lynch  c’est encore plus faible alors que ces mutations sont trois fois plus fréquentes que pour le cancer du sein.
Comprendre les réticences
L’obstacle, on l’a dit, n’est pas financier, puisque tout est pris en charge. Il y a sûrement un vrai problème d’information des personnes à risque, mais aussi, parfois, des médecins. Les critères pour proposer les tests se sont assouplis et visent un public plus large qu’il y a quelques années, ce que certains médecins ignorent.
La différence entre les tests visant les gènes du cancer du sein et ceux du cancer du colon s’expliquent aussi par le fait que dans le cas du colon beaucoup d’hommes sont concernés. Or on sait qu’en matière de santé les femmes prennent beaucoup mieux soin d’elles que les hommes et que ce qui touche au sein a une charge émotionnelle et une représentation sûrement bien différente de celle du gros intestin.
Il y a donc un besoin d’information évident car on ne reste pas les bras croisés face à la découverte de ces mutations. Entre la surveillance par imagerie et les gestes chirurgicaux, les personnes concernées doivent connaître les possibilités, leurs avantages et inconvénients respectifs afin de faire mûrir leur décision.
Et cette information est importante aussi pour les proches, en premier lieu les enfants des personnes porteuses de la mutation. Il y a donc aussi besoin de réfléchir à des stratégies pour faire en sorte que ce ne soient plus un tiers mais la quasi-totalité des personnes de l’entourage qui viennent consulter à leur tour.
Certains, même dans le monde médical, ont cru bon de critiquer la démarche d’Angelina Jolie.On nous explique même ce qu’il faut en penser. Mais il n’y a rien à en penser,c’est une décision qui appartient à la femme concernée qu’on a l’obligation d’informer avec la plus grande neutralité et c’est tout !
A titre personnel, cette décision,  je la salue et la respecte.
Aucune femme n’est obligée de faire ce qu’elle a fait mais elle a eu le mérite de mettre la question en place publique et de susciter le débat.
Et c’est à cette occasion, par effet latéral, qu’on a découvert l’excellence du système français dans ce domaine de l’oncogénétique et sa dramatique sous-utilisation
Alors merci Angelina pour cela aussi !
Lire aussi sur ce sujet l’article du 15 mai 2013
L’information sur le syndrome de Lynch

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